mardi 7 février 2012

  LES LUCARNES 
DE MIGUEL ÂNGEL REYES



 

La peinture de Miguel Angel Reyes est bien ancrée dans notre époque car elle comprend implicitement la vision de ceux qui ont traversé les cieux survolant la courbe des mers. Chez lui, cet espace céleste-aquatique si proche de la création infinie est toujours présent. Il partage ses visions avec ceux qui prennent l'art comme un œil-de-bœuf, une lucarne, un soupirail, une ouverture pratiquée dans un mur, dans le soubassement de la vie quotidienne et son aliénation.On est tenté d'avoir recours aux métaphores pour communiquer les sensations que suscitent ses œuvres. Miguel Angel Reyes est toujours en quête de quelque chose, toujours à expérimenter, rêvant à voix haute, ouvrant les rideaux pour accéder au monde des symboles.



À travers ses peintures, connectées aux forces et courants telluriques, il nous invite à voyager avec lui dans le présent et le passé, nous suggérant un passage nostalgique par la côte Pacifique de Colombie, ou bien par le Tibet ou chez les Navajos, ou encore les plages d'Aquitaine. Le soleil avec la pluie. La pluie qui se dissout dans l'arc-en-ciel.
Ses anges, minotaures et autres créatures représentent nos désirs ultimes: du néant à la mémoire.
Et vice versa. Ils sont accompagnés de tracés anciens qui nous incitent à l'art du rêve, celui qui permet de comprendre l'homme des cavernes étudiant en détail l'écorce des arbres avec son grand œil d'oiseau nocturne, prêtant parfois à un grand éclat de rire.
Son œuvre est semblable au travail d'un cartographe, ses tracés et ses dessins établissant des mappemondes imaginaires, telles des planches de dissection et d'exploration.
Sa peinture est généreuse, multiple, elle a la force des explosions de couleurs sur les murs urbains, cherchant à s'approprier l'espace, l'imaginaire des royaumes aquatiques, aériens, infrahumains.
Miguel Angel Reyes cherche à transcender le monde fini, à dépasser les frontières et à nous préparer à entendre le chant des ailes des chamanes.
Il est animé par ce désir de mettre en exergue nos contradictions : la noirceur et le souffle des couleurs, le fond de l'œil, les entrailles sacrées, la matière incandescente, conceptuelle.





Un jour, nous avons su voler, il nous le rappelle. Du moins à bord de machines comme celles qu'imaginèrent il y a des siècles Leonardo et Jérôme Bosch ; nous avons volé du patio colombien jusqu'à la métropole, nous avons vu pour la première fois notre terre comme une mosaïque de sable, d'eau et de feu, de mousse, des ossements, d'argile, de métal, de rivières et de traces humaines à l'infini, de frondaisons, de grottes ouvertes telles le pubis de femmes géantes adossées au flanc des montagnes.
En voyant les tableaux de Miguel Angel Reyes je me rappelle toujours le vol. À hauteur d'aigle on comprend la nudité du ver de terre



Le ciel bleu et les nuages qui recouvrent cette peau déchirée : les frontières, cicatrices de notre planète.
Pendant qu'il dessine et applique ses couleurs, ses pigments, Miguel Angel Reyes écoute sans doute de la musique, cela se voit.  La flûte des cumbias et les trompettes de Bach font aussi surgir une géographie et nous apaisent.
Par sa peinture, il laisse des traces de son esprit nomade, il s'élève et nous emmène sur ses épaules, cela fait partie de ses rituels, il y a une alchimie du créateur, il a gardé sa curiosité à l'égard de la poésie, des livres sacrés, il n'a pas perdu son amour des pictogrammes, des cartes, des pétroglyphes, des cavernes, de l'arborescence du corps humain, avec ses branches et ses nervures, l'énergie qui y circule, croissante et décroissante. Et avec chacun de ses traits de pinceaux, il laisse jaillir un chœur mystérieux, proche de ce chant surgi de l'enfance : « nous sommes des anges, nous venons du ciel »





 Les anciens disent qu'entre l'éther et la surface de la terre circulent les esprits, les puissances divines invisibles qui font passer nos prières aux habitants des deux, qui à leur tour nous accordent de belles rencontres, la protection, et des œuvres comme celles de Miguel Angel Reyes, le « caleño » arpenteur du monde qui trace des mandatas dans son atelier de la rue Mouffetard.

Julio Olacîregui






UNIVERS FONDAMENTAUX ET FANTASTIQUES DANS L'OEUVRE PICTURALE DE REYES    

Eduardo García Aguilar    




La nouvelle œuvre picturale de Miguel Angel Reyes surprend parce qu'elle explore des profondeurs qui remontent à l'essence mythique de l'homme. En voyageant de par ce monde infini qui semble provenir d'autres civilisations planétaires venant peut-être du futur, l'observateur assiste à une nouvelle fondation, à une création cyclique qui est à la fois une apocalypse lointaine et une proche éclosion de matières récentes. Marquées par l'eau et l'air comme éléments fondamentaux, les figures de Reyes surgissent du fonds de l'océan dans une succession de naissances, de décès et de disparitions. D'un énorme poisson-chat ou d'une baleine épuisée naissent d'autres créatures marines et de par les airs la bête cornupète porte sur son échine l'aigle qui l'a projetée vers les espaces.












Les figures de Reyes semblent anticiper les dessins des grottes de Lascaux ou d'Altamira, mais elles sont ici réalisées dans des cavernes incommensurables peuplées de géants protéiques qui avec des mains ferrées triturent, forment et réforment la matière pierreuse qui les entoure avec l'aide de l'argile qui coule par les failles de la concavité originale. 


A l'extérieur, dans les espaces ouverts entre la terre et l'espace, des guerriers babyloniens  implorent face à la conflagration, tandis qu'à l'autre extrémité, dans l'autre dimension aquatique, des femmes primitives expulsent des bulles agiles et montent avec lenteur du fonds de l'océan en nommant les créatures marines qui croisent leur sillage.
Depuis l'espace éternel tombent aussi les anges déchus et dans chacune de ces séquences Reyes nous introduit à cette chute originelle avec la maestria plastique du poète qui vient d'écouter et voir l’explosion  de la légende.
Mais dans ce monde fondateur et fantastique de la nouvelle œuvre de Reyes il y a de la place pour que ceux des baies les plus perdues et précaires assistent à la pêche miraculeuse ou voyagent en pirogue vers d'autres ports chauds pleins de toucans bariolés, de volées d'oiseaux, entre fêtes de couleur et de formes étrangères à la catastrophe, aux prémisses de la chute, parce qu'ils sont dans le coin du temps. 



 

 Reyes a fait une avancée fondamental dans son œuvre, parce qu'au-delà de nous offrir des formes et de couleurs, des liquides ou textures, des immenses champs libres ou des grottes murées peuplées d'hommes, d'animaux fantastiques et de géants de cauchemar qu’il nous offre, il nous a conduits à nous interroger sur les profondeurs de la matière, les limites de la forme, les labyrinthes du temps et de l'espace et à travers ces doutes et inconnus, à nous étonner devant les mystères de la vie à la fois éphémère et éternelle.